Présentation de la thèse de doctorat
Intitulée Sociologie de la plateforme de livraison Meituan et de ses livreurs. Redéploiement du capitalisme chinois, acteurs et régulation, ma thèse s’intéresse au déploiement du capitalisme de plateforme en Chine.
Cette thèse part du constat que depuis les années 2010, l’économie de plateforme se développe en Chine et devient l’un des moteurs économiques à l’ère de la « Nouvelle Normalité » (xin changtai 新常态) caractérisée par le ralentissement de la croissance économique. Comment l’économie de plateforme, en tant que nouvelle forme de capitalisme, se déploie-t-elle dans le régime chinois dit d’« économie socialiste de marché » (shehui zhuyi shichang jingji 社会主义市场经济) ? Au croisement d’une perspective de sociologie du travail, de sociologie politique et d’une approche économique fondée sur la théorie de la régulation, cette thèse porte sur les plateformes de livraison pour examiner le déploiement du capitalisme de plateforme en Chine et les pratiques des acteurs de régulation.
Outre la littérature scientifique portant sur les plateformes, cette thèse mobilise de nombreux rapports, textes de lois et règlements sur l’économie de plateforme. Les données ethnographiques proviennent d’observations participantes et d’entretiens menés dans trois villes chinoises (Xiamen 厦门, Shenzhen 深圳, Guangzhou 广州), ainsi que de matériaux textuels et audiovisuels collectés par l’ethnographie en ligne.
A partir de l’étude de cas de la plateforme de travail Meituan (美团), cette thèse révèle que la plateforme chinoise de livraison construit un système d’externalisation multiple qui fait émerger une « zone grise » d’emploi spécifique. A travers leurs propres stratégies de contrôle des livreurs, les plateformes chinoises de livraison développent une forme de capitalisme de plateforme différente de celle inspirée par le modèle nord-américain. Tout d’abord, le contrôle algorithmique construit un Panoptique numérique en y associant un système de punition destiné à susciter la peur des livreurs dans leur processus de travail. Deuxièmement, pour le contrôle organisationnel, les plateformes chinoises coopèrent avec des entreprises tierces pour créer le modèle de la « station » (zhandian 站点), fournissant une sorte de protection paternaliste par le biais d’intermédiaires humains. Les plateformes intègrent alors les livreurs recrutés et gérés par la société tierce (zhuansong 专送) dans les rapports de pouvoir, et forment de facto une relation de subordination avec eux. La situation est différente pour les livreurs plus libres (zhongbao 众包) qui s’enregistrent par l’application sur leurs smartphones : les plateformes gamifient leurs travaux en créant différents modes de travail, où la liberté du livreur zhongbao se transforme en un choix constitué d’un nombre limité d’options.
Face à l’exploitation des travailleurs par les plateformes et aux effets disruptifs sur la société chinoise au fur et à mesure de l’expansion de cette économie, différents acteurs réagissent contre le capitalisme de plateforme. D’une part, les livreurs chinois démontrent leur capacité d’agir en exprimant leur mécontentement. Leurs actions collectives dans l’espace internet indiquent la possibilité d’utiliser les nouvelles technologies pour construire une nouvelle forme de solidarité au-delà d’une simple communauté des travailleurs en Chine où l’espace de résistance est réduit. D’autre part, les autorités chinoises (les gouvernements central et locaux, ainsi que les syndicats) ont tendance à réguler les plateformes afin d’éliminer leurs effets négatifs et de protéger les intérêts des livreurs sans modifier les systèmes institutionnels existants dans le pays.